Inde

Mars 1990

Mon circuit en rouge (cliquer pour agrandir)
Mon circuit en rouge (cliquer pour agrandir)

Suite du Pakistan

 

Dans le train qui m'emmène à New Delhi j'ai eu la bonne idée de réserver un siège, mais malgré cela, j'ai du mal à avoir une place. A l'inverse du Pakistan où les gens qui ont réservé sont pratiquement propriétaires de leur siège – ici c'est l'entassement sur les sièges – le moindre cm est occupé par une fesse. Dans le compartiment où je voyage – type ancien train français – nous sommes 18 personnes, 6 sur chaque banquette et 3 dans chaque porte-bagage, en plus de tous les bagages. L'atmosphère y est beaucoup plus détendue qu'au Pakistan.

Une nouvelle monnaie m'attend, la Roupie indienne, qui équivaut à 0,35 F.

 

Arrivé à New Delhi, c'est à nouveau un bain de foule. Mais arriver à 10 heures du soir ce n'est pas le top – il faut trouver une chambre dans cette fournaise et éviter de se faire arnaquer. J'ai néanmoins pris quelques renseignements auprès des voyageurs dans le train pour connaître les tarifs des vélos-taxis et des hôtels. Je précise que je voyage depuis de début sans aucun guide de voyage et que je découvre au jour le jour sur le terrain, au hasard des rencontres. Je suis à peine sorti de la gare que tous les vélos-taxis (rickshaw) me sautent dessus. J'impose mes conditions : "c'est 5 roupies pour toi si tu me trouves un hôtel à 30 roupies la nuit". Réponse collective : "impossible à trouver, les premiers prix sont à 100 roupies la chambre". Bon eh bien, je m'y attendais un peu. Le meilleur argument vis-à-vis de ce groupe est de partir à pied comme si j'étais sûr de moi. Je n'ai pas fait 30 m que l'on me rattrape pour essayer de négocier – je m'en tiens à ma proposition – et je dois marcher quelques 2 ou 300 m avant que l'un d'entre eux se décide à m'emmener – du vrai poker menteur. Je lui rappelle le contrat et lui précise qu'il ne sera payé que s'il me trouve cet hôtel. Premier arrêt – 120 roupies la chambre – ça commence bien. Je me demande s'il ne l'a pas fait volontairement pour me tester – au cas où cela marcherait, il devrait avoir un joli pourboire. Les hôtels suivants je ne descends pas – tu vas demander s'il y a de la place et le prix - toujours beaucoup plus chers que le contrat évidemment. Quand il voit que je n'y mettrais pas plus cher, il change un peu de quartier et me trouve enfin un lit à 30 roupies. Le pauvre, il en a bavé à pédaler et il a bien gagné ses 5 roupies.

En fait, le tarif de 30 roupies la nuit ne correspond pas au prix d'un hôtel avec chambre, il s'agit d'un lit dans un dortoir comprenant 30 ou 40 lits où l'on dort tous ensemble. J'ai déjà dormi plusieurs fois dans ces conditions au Pakistan – ça ne me pose pas de problème particulier, juste veiller à la sécurité de mon sac. Demain, j'aurais tout mon temps pour chercher autre chose.

A New Delhi, les touristes pullulent – c'est une vache à lait pour l'Inde. Je rencontre beaucoup d'Allemands – leur système de congés diffère de celui de la France. Chez nous 80 % des Français partent en juillet et août et les usines ferment, alors qu'en Allemagne, les vacances se prennent toute l'année. Beaucoup profitent de la mauvaise saison pour s'évader au soleil – ça me parait plus astucieux.

A Delhi, je prends connaissance de mon premier courrier depuis 4 mois – c'est un évènement et un grand réconfort. Je décide d'y rester au moins une semaine pour souffler un peu.

L'alimentation est comme le feu. Moi qui mange tout en France pratiquement sans assaisonnement, c'est très pénible. Au bout de 4 à 5 jours je me paie une bonne diarrhée aggravée d'un coup de soleil. Il n'y a pas grand-chose à tirer du bonhomme. Pendant 2 ou 3 jours je garde la chambre et décide d'aller manger dans un restaurant pour touristes pour me remettre un peu d'aplomb. Le tarif n'est pas le même mais je peux commander des plats sans épices (25 à 30 F pour 3 repas contre moins de 10 F dans la rue). C'est ma première "tourista" depuis mon départ – ça aurait pu être pire. Ma pharmacie est bien utile en ce moment. Je la complète par du magnésium, des vitamines et du stérogyl – il faut assurer.

 

Les femmes sont beaucoup plus libérées qu'au Pakistan – plus de foulard sur la tête. Elles portent des jupes légères et un genre de petit bustier très court qui laisse apparaitre une partie du dos et du ventre. Contraste saisissant avec le Pakistan – question religion – ici les musulmans sont une minorité. Finies les séparations dans les bus entre hommes et femmes.

 

Je me suis fais voler mon porte monnaie dans le bus. Je pensais qu'il était imprenable, j'avais du mal moi-même à le retirer de ma poche arrière. En temps normal, je n'ai que très peu d'argent dedans, mais pour une fois j'avais 30 dollars. Les bus sont bondés et nous sommes souvent serrés les uns contre les autres,……… c'est un des risques du voyage !

 

Les vaches dans la rue ont souvent plus de droits que les piétons – on les côtoie, on les frôle sans même y prêter attention. Il faut dire qu'elles sont d'un calme à toute épreuve,…….. juste faire attention aux éclaboussures !

Les trottoirs sont envahis de travailleurs qui attendent le client. Des coiffeurs qui peuvent vous couper les cheveux ou vous raser pour quelques roupies. Pas besoin de fond de commerce. Les diseuses de bonne aventure font un tabac - plus les gens sont pauvres et plus ils ont besoin de rêver.

 

Incinération d'un mort : Au hasard, dans une rue, j'entends des tambours et trompettes et je vois toute une procession – ça riait, chantait – plus de 50 personnes marchaient d'un pas décidé. Je croyais à une manifestation et je demande autour de moi la signification : "c'est un mort que l'on emmène pour l'incinérer". Je voulais à peine le croire, tellement c'était bruyant. Puis je vois comme un brancard sur les épaules de 4 jeunes avec un mort dessus, enveloppé dans un drap, avec quelques couronnes de fleurs. Je les suis – ils vont très vite – j'ai du mal à les prendre en photo. Arrivés à l'entrée du "crématorium" ils déposent le brancard et effectuent quelques rites indous. Je ne comprends rien – mais j'imagine un étranger venant du fond de sa brousse, ne connaissant pas un mot de français, assister à une messe catholique en France.

Le long du corps j'aperçois un petit sac plastique avec des cheveux (??). Le mort est emmené à l'intérieur de l'enclos à ciel ouvert - il est placé près d'une dalle où on doit le brûler. Ils lui découvrent le visage – le pauvre il ne devait pas être lourd à porter – sa bouche est ouverte – pas rasé – ce n'est pas très beau à voir. On prépare le brasier – un lit de gros bois – le mort est posé dessus et on amoncelle du bois debout de chaque côté en forme de tipi. L'allumage est plutôt laborieux, - et c'est parti pour un bon brasier. Je pars avant la fin car c'est un peu long. A la sortie, je discute avec des membres de la famille. Le mort avait 85 ans et c'est la joie de le voir partir dans un autre monde. Les enfants sont présents, aux premières loges, tout heureux que l'on brûle leur grand père ou arrière grand-père devant eux. Ils me disent quand même qu'ils ont du chagrin lorsqu'il s'agit d'une personne jeune.

C'est dur de prendre des photos, même avec leur autorisation, j'ai toujours peur qu'il se trouve une personne que cela dérange.

 

Je programme déjà mon étape suivante – après l'Inde, et envisage d'aller à Hong Kong et de là, passer en Chine. Après la visite de quelques agences de voyage je découvre que le billet d'avion New Delhi – Hong Kong est très cher ici et qu'il est préférable d'acheter un vol Delhi – Bangkok (Thaïlande) pour avoir un meilleur tarif ensuite à Bangkok. En plus, il existe des tickets "multi-vols" en Asie qui pourraient être intéressants pour la deuxième partie de mon périple. Coût du billet Delhi – Bangkok : 750 F.

 

A Delhi, je tourne un peu en rond et je ne vois pas comment je vais démarrer mon périple de l'Inde – peut-être un petit coup de blues !! C'est tellement grand et il y a tellement de beaux coins à visiter qu'il faut choisir. Un des endroits les plus jolis doit être le Kashmir, mais avec les évènements actuels, il n'est pas question d'y aller. Je lis tous les journaux français que je peux trouver – il y a 5 jours de décalage mais c'est bon quand même lorsqu'on est en manque.

 

Je me décide à partir pour le Rajasthan, au sud de Delhi et visiter un petit village, Pushkar, que l'on me dit de ne pas manquer sur ma route. Ce village détient le record de compter 502 temples Indous. Envahi de touristes de tout poil, de restaurants, de boutiques, c'est une place magnifique où l'on peut passer du bon temps à flemmarder, un peu comme dans les beaux coins touristiques en France. On ne peut toutefois pas dire que c'est l'Inde profonde.

La campagne autour tranche un peu par la pauvreté des gens qui y vivent. Quatre personnes creusent un puits à la main et remontent la terre par un système de corde et poulie tiré par deux vaches. Je suis invité à entrer dans une maison par deux jeunes hommes qui veulent acheter ma montre et veulent voir tout ce que je possède. Pour eux, les étrangers ont plein de choses et la curiosité les attire. La maison comprend une seule pièce avec deux lits qui servent de sièges, un petit réchaud dans un coin et quelques gamelles. Le linge est empilé sur une ficelle tendue dans la maison. A un moment, l'un des deux s'est allongé sur un sac de jute au sol et j'en ai déduit que ce sac devait aussi servir de couchette. Il est inutile d'essayer de compter les mouches ! Un verre d'eau m'a été proposé, mais j'ai montré ma gourde pour indiquer que je n'avais pas soif – quand bien même, je ne l'aurais pas accepté.

 

Dans mon hôtel à Pushkar – que des jeunes pensionnaires, la plupart étrangers, je suis le seul à ne pas fumer le hashe. Ouah, je n'avais pas encore connu ça pendant le voyage. Certains sont ici depuis plus d'un mois et fument leur joint avant leur petit déjeuner. Ils sont là à ne rien faire, on écoute de la musique, on fume – complètement amorphe. Pas question d'aborder le sujet – ici c'est moi qui suis marginal. Je suis l'étranger parmi les étrangers.

Une fille racontait qu'elle avait fait un essai en buvant du "bang lassi", une boisson qu'ils servent ici et qui contient plus ou moins de hashe selon la demande. Au bout d'un quart d'heure, elle a perdu l'ouïe et ne l'a retrouvée que 8 heures plus tard. Elle était incapable de bouger et est restée allongée pendant des heures. En racontant cette histoire, elle riait et semblait très fière de son expérience. C'est un milieu et une ambiance nouvelle que je découvre.

En fait, l'Inde pour ces jeunes, c'est beau, pas cher, on peut passer du temps à ne rien faire, fumer son joint tranquillement, rencontrer beaucoup de jeunes comme nous – la vie rêvée quoi !

Il est dit que les américains auraient donné quelques millions de dollars pour combattre cette drogue – qu'une française aurait pris 5 ans de prison pour "seulement" 5 gr de hashe dans son sac. Celui qui me racontait ça me dit :"tu te rends compte, 5 gr, c'est rien, c'est ce qu'on fume ici en une journée à plusieurs".

 

Les rues grouillent de vaches, cochons, chèvres, et surtout de singes. Certains sont inoffensifs mais d'autres peuvent se révéler dangereux. Il est préférable de toujours être sur ses gardes pour ne pas se faire voler quelques objets ou de la nourriture. Ils peuvent même vous prendre une pomme dans votre main alors que vous êtes en train de la manger – un passage éclair et ……plus rien. Les marchands de fruits doivent surveiller leur étalage. Le problème est que dans certaines zones, ils sont devenus trop nombreux et seraient presque classés comme animaux nuisibles.

 

Trajet Pushkar – Udaipur, 300 km vers le sud en bus de nuit. Le voyage de nuit est une solution qui peut me convenir pour avancer dans les zones où les temps de trajet sont longs.

J'arrive ici à 6 heures du matin et je me lance dans la campagne, droit devant moi, comme cela m'arrive de temps en temps quand je suis fatigué de visiter les lieux touristiques. Je découvre en chemin une fabrique de briques – je ne peux pas parler d'une usine car l'organisation est bien spéciale. Une équipe de familles pioche la terre – ça a tout l'air d'une terre de culture – mais je sais que l'argile peut prendre beaucoup de couleurs différentes. Quand je parle de famille, cela veut dire que toutes les tranches d'âge à partir de 5 – 6 ans travaillent ici. Une fois piochée, cette terre est chargée sur le dos des ânes – plus de 100 bêtes - et acheminée jusqu'à la "centrale", à environ 1 km. La centrale est un endroit plus plat où la terre est malaxée avec de l'eau jusqu'à l'obtention d'un mortier très collant. Ce mortier est mis en moules et alignés comme des sardines sur plus de 50 m². Il y a 20 ou 30 ateliers comme cela sur cette "centrale". Après quelques jours elles sont empilées en laissant un espace entre chaque pour continuer à sécher. On peut parler de brique à ce stade. Lorsque la brique est suffisamment solide elle est placée en silo – énorme montagne de briques empilées avec un espace entre chaque qui est comblé avec une poudre qui ressemble à du charbon. Au final on met le feu et cette montagne brûle en mourant pendant le temps qu'il faut pour obtenir la cuisson désirée (?). L'étape suivante est la livraison directement sur les chantiers par "convois" de 7 à 10 "camions-ânes".

Aucune machine, tout est fait et manipulé à la main de l'homme,……… et de la femme,……..et des enfants.

 

Une femme bat les feuilles d'un arbre, comme on gaule les pommes, pour que les 3 chèvres dessous puissent manger.

 

Dans un champ plus loin, un groupe de femmes coupent du blé qui me parait encore vert, et le met en gerbe. Je suppose qu'elles vont le laisser mûrir et le battre plus tard au fléau.

Une battue dans un champ de blé pour chasser sans doute les animaux nuisibles, au moins chats et fouines. J'ai vu ces deux bestioles dans un sac et assisté à la capture du chat. Quand il est pris en chasse par les chiens il n'a aucune chance de s'en sortir. Il a été massacré en 5 secondes – les 6 chiens le tenaient ensemble. Les hommes sont juste armés de bâtons et frondes au cas où l'animal grimpe à un arbre.

 

La fabrication du sucre : Dans un coin de champ, deux bœufs tournent pour faire fonctionner un manège qui actionne un aplatisseur de tiges de canne à sucre. Le jus est récolté et porté à ébullition dans une grande chaudière de plus de 2 m de diamètre. Il reste au fond une pâte brune épaisse – un sucre non cristallisé. Il est commercialisé sous cette forme – ce n'est pas très présentable mais l'effet est le même.

 

26 mars 1990, je continue l'aventure. Je pointe un village sur ma carte, à 50 km d'Udaipur, et décide de prendre le bus pour m'y rendre. Une heure trente pour y arriver – je suis dans l'Inde profonde.

Je croise un attelage une peu spécial. Dans un champ, deux bœufs tirent une grande planche sur laquelle l'homme se laisse trainer. Je suppose que des dents dépassent sous cette planche et que l'ensemble sert de herse (?).

J'atterris dans un village où il y beaucoup d'artisans pour la poterie et les bijoux. Les tours de poterie sont comparables à nos tours manuels, mais ensuite les pièces sont tapotées un peu comme si l'on voulait redresser une carrosserie de voiture – une pièce plus ou moins ronde à l'intérieur et un maillet plat à l'extérieur. Ça a pour effet de donner un aspect martelé à la poterie. La communication est difficile car presque personne ne parle anglais.

Les bijoux sont fabriqués avec des moyens archaïques, une petite forge, des limes et des pinces. Ils arrivent malgré tout à faire des choses formidables.

 

Je sors du village pour marcher dans la campagne et tombe sur une scène de moisson et de battage. Les femmes coupent le blé à l'état pâteux – 10 à 15 jours avant la maturité. Peut être y a-t-il une raison que je ne connais pas – personnellement, j'attendrais qu'il soit presque mûr (?). Un homme un peu plus loin "bat" le blé avec les bœufs. Pour le battage, ils étalent le blé coupé et mûri sur une surface pierreuse, du roc, et pendant des heures ils font tourner les bœufs sur la paille et les épis pour que le grain se sépare peu à peu de l'épi. Ensuite ils enlèvent la paille et récupèrent les grains et l'enveloppe (le pou) qu'ils séparent en utilisant le vent naturel. On laisse tomber le mélange de 2 m de hauteur environ, le blé tombe à la verticale et l'enveloppe plus ou moins loin sur le côté selon la force du vent. Je me suis demandé combien de temps il leur fallait pour battre un hectare de blé !

Pas un mot d'Anglais dans ce champ mais le langage des signes a pris le relais. Très bon accueil. L'homme m'a fait goûter une recette de blé grillé. On prend des épis de blé pâteux, on les fait griller dans un petit feu de paille et on égraine à la main. On mange tel que et c'est très bon, un peu sucré même.

 

Retour à Udaipur et départ pour Bhopal par bus de nuit. Bhopal est malheureusement célèbre par l'explosion d'une usine chimique en 1984 faisant entre 3 500 et 20 000 mort selon les sources.

Arrêt à 6 heures du matin – tout le monde descend du bus. Je me dis que c'est sans doute le terminus – impossible de savoir – il n'y a pas de panneaux lisibles à l'entrée des villages. Je cherche un petit village sur ma carte pour m'enfoncer dans la campagne profonde et je choisis le village de Bareli. - Mais Monsieur, ce n'est pas direct – vous devrez changer à mi-parcours. ………. heu, pourtant sur ma carte c'est direct – bon, je leur fais confiance.

Arrivé au changement de bus, je demande un autre ticket pour Bareli et on me demande un prix qui n'a rien à voir avec ce que j'avais imaginé, - problème – je suis où exactement ? Et je m'aperçois que je me trouve à environ 100 km de là où je pensais être. Je suis descendu du bus à Indore et non à Bopal.

Finalement, je recherche un autre village sur ma carte – Kamod – que j'atteinds à 5 heures l'après midi. La première chose est de chercher un hôtel pour déposer mon sac à dos. Difficile de trouver quelqu'un qui parle anglais et on me dit qu'il n'y a pas d'hôtel dans ce village. Je rencontre deux enfants qui baragouinent quelques mots et nous voilà partis à la recherche d'un endroit pour coucher. Au bout de 3/4 d'heure, je dois me rendre à l'évidence que je ne trouverais pas ici. Je reprends le bus pour le prochain village où on me dit qu'il y a des hôtels. Même recherche, mêmes difficultés, et vu l'heure avancée, il n'est pas question d'aller plus loin, je dois coucher ici. On finit par me proposer une pièce dans les annexes d'un temple – pas de fenêtre – pas de lit. Je récupère quand même un lit dehors qui servait pour faire la sieste et je passe une bonne nuit.

Pas un seul touriste étranger dans tous ces villages – c'est formidable. Il n'y a pas meilleur parcours pour découvrir la vie de ces gens, bien que je me demande parfois si ce n'est pas eux qui découvrent la vie d'un étranger en cavale – la façon dont ils m'épient dans tous mes gestes – mais c'est sympa et je ne me sens absolument pas en danger. Mon regret est de ne pas pouvoir communiquer, faute de pratiquer la même langue.

Le lendemain, petite balade en dehors du village. C'est semi-désertique mais habité. Les habitations et la vie de la population me rappellent un peu l'Afrique – les maisons sont en terre et recouvertes de branchages ou de paille. Chaque maison a un appentis ouvert où les gens passent la majorité de leur temps. Les enfants vivent nus – ils sont sales – il y a des mouches partout. Je m'habitue mais ça n'incite pas à s'arrêter pour boire un thé.

Dans le village, l'école est juste à côté du temple. C'est un hangar en tôle – pas de table ni chaise – les enfants sont assis en tailleur sur des bandes de toile de jute posées sur la terre – un cahier et un crayon sur les genoux. Le maître écrit sur un tableau.

Dans certaines régions, l'état nourrit les enfants le midi – c'est la seule solution pour que les enfants pauvres aillent à l'école. Mais malgré cela, je ne suis pas sûr que tous profitent de cette opportunité.

 

Départ en bus pour Harda où passe le train en direction de Vanarasi, plus connu sous le nom de Bénarès. Dix huit heures de train en perspective – sans couchette et sans siège. Je réussis quand même à obtenir un bout de siège dès le départ dans un wagon réservé aux militaires – le fait d'être étranger m'a servi. Dans la nuit je réussis à m'allonger sur la grille d'un porte bagage – c'est très inconfortable mais mieux que sur mon siège où je n'arrivais plus à tenir.

Arrivé à Bénarès, tous les rickshaw-taxis me sautent dessus – tout juste s'ils ne vous proposeraient pas de vous conduite gratuitement à votre hôtel. En fait, ils touchent une bonne commission des hôtels où ils conduisent les touristes. Je demande "Vishnu Gest House", recommandé par des touristes rencontrés en route – mais…… c'est fermé, ça n'existe plus. Je ne veux pas les croire – 3 semaines avant, des touristes y ont dormi. Alors, ils se mettent à 5 pour me persuader que cet hôtel est fermé depuis une dizaine de jours. Je leur dis " attention, si ce n'est pas vrai vous allez m'entendre". Pas de problème, ça n'existe plus, et ils me conduisent dans un petit hôtel très propre et d'un prix raisonnable. Le lendemain, je m'aperçois que le Gange (fleuve sacré) se trouve à 4 km de mon hôtel, et c'est là que se trouve toute l'animation. En discutant avec des Néo-Zélandais, j'apprends que Vishnu Gest House existe toujours et que je me suis fais bel et bien avoir par les taxis. Le plus rageant est que j'étais bien au courant de cette pratique. Ils ont profité que j'étais fatigué après 18 h de train.

Pas une seconde d'hésitation, je change d'hôtel le jour même et je me retrouve juste au bord du Gange – pour 15 roupies par nuit au lieu de 35 la nuit dernière. J'apprends que Vishnu Gest House ne donne rien aux taxis, la publicité de bouche à oreille leur suffit amplement.

Le Gange a toute une histoire. Il aurait été créé par un Dieu à la suite d'un vœu.

Il est considéré comme fleuve sacré par les hindous. L'immersion lave le croyant de ses péchés et la dispersion des cendres des morts apporte une meilleure vie future.

C'est un des fleuves les plus pollués de la terre, mais, au dire des Indiens, "il n'est pas dangereux, au contraire, il y a tellement de microbes qu'ils se détruisent entre eux". Les "pèlerins" s'y baignent et boivent cette eau telle quelle – je n'ose à peine y toucher. C'est un fourmillement humain sur toutes les marches qui descendent au fleuve – un peu comme une fête perpétuelle très colorée, mais aussi très bruyante. Le Dieu est représenté sous beaucoup de formes différentes – un corps humain, un corps humain avec une tête d'éléphant, avec une tête de singe, etc. c'est extrêmement compliqué et je n'ai pas l'intention de l'étudier.

Bénarès est un haut lieu de crémation de morts, au bord du Gange. Cinq ou six corps brûlent en permanence. C'est un lieu de visite incontournable. On assiste à l'arrivée des corps recouverts de fleurs – le corps est trempé intégralement dans le fleuve – sans doute pour le purifier – et ensuite on le brûle sur le bûcher. Chaque bûcher ne contient qu'un seul corps car on ne peut pas mélanger les esprits et les castes. Les feux sont assez courts, si bien que les pieds dépassent, et,….. quand une jambe se détache on la repose sur le feu. Certaines familles ne peuvent payer assez de bois pour brûler tout le corps et les morceaux non brûlés sont jetés dans le Gange.

J'étais assis sur des marches à une quinzaine de mètres des feux et un chien finissait un os à un mètre de moi. Des dizaines de chiens rôdent autour et se battent pour finir "les restes". Il faut le vivre – mais interdit de prendre des photos ici.

 

Ballade en bateau : Avec 3 autres touristes de l'hôtel, nous décidons de louer une barque dès 6 heures du matin pour observer la scène du milieu du fleuve. L'activité démarre dès 5 h du matin et jusqu'à 10 h le soir. Au loin nous apercevons un vautour posé en plein milieu du fleuve et en nous rapprochant nous avons la surprise de voir qu'il est posé sur un corps humain entier et qu'il l'attaque par l'anus.

 

En Inde, tous les corps ne sont pas brûlés. Parmi eux, il y a ce qu'ils appellent les corps sains – directement jetés à l'eau. Les morts par piqûre de serpents – le serpent est considéré comme purificateur. Les gens appartenant à certaines castes – et beaucoup d'autres. Je suppose aussi que les pauvres ne peuvent pas payer le bois pour le bûcher.

Les lieux touristiques attirent les mendiants. Le haut des marches qui conduisent au fleuve est envahi de mendiants – surtout femmes et enfants. Ils sont alignés de chaque côté des rambardes. On dit que ce sont les mendiants les plus heureux au monde car dans un endroit sacré les gens donnent beaucoup. Des femmes achètent du riz et le distribuent une poignée à chaque. Ils restent 24 h sur 24 et les places sont, parait-il très chères – un nouveau ne peut être accepté qu'après l'accord des autres. Parmi cette population, un certain nombre d'enfants sans mains qui tiennent un bol serré entre leur deux moignons de bras, …… surtout ne donnez pas. Les parents mutilent leurs enfants à la naissance pour attirer la pitié et les dons. Plus vous donnez et plus vous augmentez cette population de mendiants. Triste raisonnement !! Malheureusement ceux qui ont vraiment faim ne sont pas à cet endroit.

Avec deux touristes Suisses, nous avons fait l'expérience de donner à 3 enfants qui mendiaient dans une rue. Nous ne voulions pas donner d'argent et nous leur avons offert des galettes (pain). Nous les avons ensuite minutieusement observés car nous soupçonnions la mère de les surveiller, et, dès qu'ils ont jugé qu'on ne les voyait plus, ils ont jeté ce pain. Cela voulait bien dire qu'ils étaient commandés de ramener de l'argent et non de la nourriture.

J'ai été très gêné une fois, coincé dans une file d'attente pour prendre mon billet de train. Une petite fille de 3-4 ans s'est accrochée à moi et me regardait dans les yeux. Elle n'avait pas besoin de parler, son regard suffisait. Voyant que je l'ignorais, elle s'est mise à genoux et embrassait mes chaussures. Ce n'est qu'au bout de quelques minutes qu'un homme à côté s'est décidé à intervenir et lui dire de partir. Ouah - dur, dur.

 

Tout au long du Gange des centaines et centaines de laveuses tapent le linge sur les pierres plates. C'est une image importante de l'Inde et ce bruit très caractéristique dans tous les lieux où il y a de l'eau.

Par mesure d'hygiène, beaucoup de parents rasent les cheveux des tous jeunes enfants.

 

Vol : C'est dur de raconter Bénarès (Varanasi) sans images. J'avais presque une pellicule entière qui est partie avec mon deuxième appareil photo volé. Je regrette plus la pellicule que l'appareil lui-même. Il m'a été volé le matin de mon départ de cette ville, dans le dortoir – sans doute au moment où je faisais ma toilette – c'est le seul moment où mon sac à dos n'était pas fermé à clé. Et cette fois-ci, je soupçonne des touristes.

 

 

Après Bénarès et le Gange, départ pour Agra où je visite deux lieux historiques de l'Inde.

Le Fort Rouge : c'est le plus grand fort de l'Inde, tout en briques rouges. Il date de l'an 1000 et est plutôt bien conservé.

Le Taj Mahal – plus prestigieux et plus connu du public. C'est une des sept merveilles du monde – un palais tout en marbre blanc construit au 17ème siècle.

La visite se fait sans les chaussures. Chacun laisse ses chaussures sur les marches à l'entrée – des centaines de paires. Pour plus de sûreté je préfère les mettre dans mon petit sac à dos pendant la visite.

Le parc qui entoure ce palais est magnifique. Les couleurs du marbre blanc ont la particularité de changer en fonction de la luminosité. Les photographes s'en donnent à cœur joie.

Petite ombre au tableau de ce joyau : l'empereur qui a construit ce palais, en mémoire de sa femme disparue, voulait que cette œuvre soit unique. Pour s'en assurer, il a fait couper les mains de tous les architectes qui avaient participé à la construction.

 

Les signes indiens : chaque société a inventé ses propres codes pour communiquer et il est important de se comprendre. C'est à l'étranger de s'adapter aux codes en usage dans le pays.

Pour répondre oui avec la tête, il nous suffit de balancer la tête de haut en bas. L'Indien tourne très légèrement la tête vers la droite dans un mouvement saccadé.

Pour dire bonjour à un passant, il joint les mains sur sa poitrine et fait une très légère courbette. La première fois, je me suis demandé ce que j'avais de bizarre, s'il me prenait pour un dieu. J'essayais de chercher car en plus, j'étais barbu.

Pour dire à une personne d'approcher, nous lui faisons signe avec l'index, en crochet. L'Indien tourne sa main, paume vers le sol et replie ses 4 doigts comme lorsqu'on gratte le sol.

Je n'ai jamais compris le sens exact du merci. L'indien l'utilise à toutes les sauces, dans des situations où l'on ne se verrait surtout pas dire merci.

 

Retour vers New Delhi et départ pour Bangkok en Thaïlande. J'aurais passé 5 semaines en Inde, c'est court si l'on compare à l'échelle du pays – c'est un peu comme si l'on passait une semaine en France. Mais ce sera suffisant pour moi – j'ai vécu des moments forts, et je me sens un peu fatigué des pays pauvres.

Je découvre mon deuxième courrier de la France et c'est à nouveau un moment très fort. Je dois lutter pour ne pas avoir un coup de cafard et continuer mon périple.